Avec le mouvement #MeToo, les féministes du monde entier se sont élevées contre la culture du viol. (Avec raison.) Avec cette popularisation du féminisme, est-on en train de perdre de vue des composantes essentielles du mouvement ?
« Libérer la colère »… des minces ?
Au Québec, le post-#MeToo a été le sujet de nombreuses parutions. Parmi celles-ci, le recueil “Libérer la colère” 1. Trente-cinq femmes y partagent leurs frustrations. Leur outrage. Leur désir de briser les mythes. Trente-cinq femmes aux profils aussi variés qu’intéressants. De tous les âges. D’origines et cultures diverses. Premières Nations. Queer.
Sauf que… À peine une seule d’entre elles (deux si on force !), s’avère(nt) rondelette(s) ! On nous brandit pourtant qu’un(e) Québécois(e) adulte sur quatre est obèse 2. Mais il n’y aurait pas d’obèse(s) féministe(s) assez érudite(s) pour se joindre à ce type de parution ? (J’en doute.)
Ou a-t-on (encore) OUBLIÉ que la grossophobie est un enjeu profondément féministe ?
Dans un contexte de culture du viol, “On utilise le corps des femmes comme si elles étaient là pour assouvir les besoins des hommes.” 3
Sur beaucoup de tribunes, on semble oublier un “détail”. Un « détail » qui n’en n’est pas un, pourtant. Dans ces “façons d’utilise[r] le corps des femmes comme si elles étaient là pour assouvir les besoins des hommes“, y’a aussi… la grossophobie. Le fat-shaming. Et l’ensemble des comportements et idées (idéaux ?) liés à la diet culture.
Diet culture = soumission
Parce que, tout comme la culture du viol, la diet culture (« culture de la diète »), par la propagation d’un sentiment d’inadéquation de la femme, maintient cette dernière en position de soumission. De faiblesse.
Dans la diet culture, on martèle aux femmes que leur corps n’est « pas adéquat”. Pas « correct ». Mais aussi que c’est de leur faute. Et que la seule façon d’y remédier est de vivre dans un état plus ou moins perpétuel de privation. De punition (souvent auto-infligée). Et de quête d’approbation, approbation confirmée par l’atteinte et le maintien (pas toujours réaliste) de la sacro-sainte désirabilité via la minceur.
Minceur = valeur ?
La diet culture dicte que “minceur” égale “valeur”. Et que “grosseur” égale un paquet de trucs négatifs. Gloutonnerie. Paresse. Envie. (Presque la moitié des péchés capitaux. Merci, société aux prises avec ses restants de culpabilité judéo-chrétienne.)
Dans la culture de la diète, la femme doit aspirer à être mince. Ou à le rester. Pour être désirable. Pour être VALABLE. (Aux yeux des hommes, notamment.) Ce “devoir de minceur” émane en grande partie de la valeur qu’on donne au regard des hommes. Au pouvoir de validation qu’on lui accorde. Et qu’on fait rimer avec « désirabilité ».
Ce qu’on oublie (trop) souvent, c’est que cette pression émane (si) souvent du regard des femmes. Le regard qu’elles posent sur elles-mêmes et sur les autres. On l’a dit mille fois. Quand une femme dit qu’à sa taille, elle n’attirera jamais personne, à côté d’une femme d’une femme deux fois plus grosse qu’elle, elle pose ce regard sur elle-même, certes. Mais elle passe aussi un message – volontaire ou non – à l’autre. Elle perpétue ce sentiment d’inadéquation chez elle-même. Mais elle le perpétue, ou pire, en le CRÉE, autour d’elle.
Pour un féminisme toute taille !
Selon le dictionnaire Larousse, le féminisme est un “mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société.” 4
Il suffit de relire cette définition pour que ça devienne des plus évidents. L’abolition de la diet culture serait partie intégrante de “l’amélioration […] des droits de femmes dans la société”.
Et pourquoi pas, du même coup, inclure la grossophobie dans la législation sur les formes de discriminations illégales ? (On jase, là.)
Le féminisme est supposé être une lutte pour toutes les femmes. Par toutes les femmes. Alors que les militantes contre la grossophobie mènent une lutte à saveur définitivement féministe, j’invite les féministes de toutes les tailles à commencer – ou à continuer – une meilleure inclusion des enjeux liés à la grossophobie dans leur lutte.
Note : Je sais que la grossophobie touche aussi les hommes. Le fait qu’il s’agisse d’un enjeu féministe n’en fait pas un enjeu UNIQUEMENT féministe. Mais PROFONDÉMENT féministe PAREIL.
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- http://www.editions-rm.ca/livres/liberer-la-colere/#tab-description
- https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201811/14/01-5204219-lobesite-en-progression-au-quebec-depuis-40-ans.php
- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1000390/quest-ce-que-la-culture-du-viol
- http://www.editions-rm.ca/livres/liberer-la-colere/#tab-description
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